La lauréate 2024 et sa nouvelle

« Je m’appelle Marine, j’ai bientôt 35 ans. Mariée et maman de deux enfants, je suis une grande bavarde et une hypersensible passionnée. À mon compte en tant qu’organisatrice de mariages et officiante de cérémonies, j’ai à cœur d’accompagner les couples et les familles dans les moments forts de leur vie, avec authenticité et sensibilité.

Mon parcours m’a menée de Lyon à la Polynésie, avec une parenthèse en caravane. Ces voyages m’ont appris à m’adapter, à m’ouvrir à la diversité des cultures et des modes de vie. Ils m’ont aussi confortée dans mon amour pour la nature, la liberté et les rencontres. Aujourd’hui, j’ai choisi de poser mes valises en Saône-et-Loire, près de Cluny.

Ce qui n’a jamais changé malgré tous ces horizons, c’est mon envie d’écrire, qui me suit depuis toujours. Les mots ont toujours été là pour moi : pour raconter des histoires, pour traduire des émotions, ou simplement pour donner du sens à ce que je vis. »

Sur la route des souvenirs

Je me dresse sur la pointe des pieds et attrape l’anse de ma valise qui prend la poussière au-dessus de mon armoire. Je la prépare en toute hâte. J’avais promis à Pépé Marius qu’on le ferait ce voyage, qu’il aurait enfin le droit au retour sur sa terre natale. Je sais aussi que j’aurai dû le faire avant, mais on est tellement vite aspiré par les problèmes du quotidien qu’on en oublie ce qui est important. Mon bagage est prêt, je n’ai plus qu’à passer récupérer Pépé sur le chemin du départ. Je saisis au passage mon sac à main. Nous avions convenu neuf heures trente, il est déjà neuf heures moins vingt. Être ponctuelle, point d’honneur à respecter pour Pépé et je ne dois pas faillir à ma mission aujourd’hui. Je jette un dernier regard autour de moi, tout est sens dessus dessous. Ce n’est pas grave, j’aurai tout le temps de ranger en rentrant. Je descends les escaliers de mon immeuble en courant en direction de ma voiture. Le périple peut commencer.

Je dépose ma valise dans le coffre, lance mon sac à main sur la banquette arrière et libère le siège passager qui se cache sous trois tonnes de vêtements et d’emballages. Pépé n’a jamais aimé le bazar, il a toujours été maniaque voire quelque peu rigide sur ce point. Il aime l’ordre, mais il ne m’en tiendra pas rigueur, j’en suis sûre. Après tout, je suis sa petite fille préférée, même s’il n’a pas vraiment le choix, car je suis aussi la seule. Dans tous les cas, il est important qu’il soit bien installé, le voyage risque d’être long et pas vraiment de tout repos. Son village d’enfance est à environ 420 km de Paris. Je démarre et prends la route à destination de ma première étape.

Le voilà. Convenablement installé sur le siège à côté de moi. Mets ta ceinture Pépé, le voyage peut débuter !

Ce ne fut pas sans difficulté : entre les pauses pipi à répétition, Pépé qui tangue à chaque virage, et surtout la fatigue d’avoir parcouru 420 kilomètres seule au volant. Mais on a réussi ! La voiture sillonne les petites routes de campagne et j’aperçois enfin à quelques mètres, le panneau du village. Je ne connais pas du tout cette partie de la France, il faut dire que j’ai grandi en Colombie jusqu’à ma majorité. J’ai ensuite continué mes études et eu envie de découvrir mes racines françaises, celles que j’ai reçues de Pépé. Il a toujours été si inspirant pour moi. Mon arrivée à Paris a été difficile les premiers temps mais en quelques semaines j’ai pris mes marques. Le cœur battant, j’entre dans le village à la rencontre de mes origines.

J’ai hâte de me garer pour arpenter les rues. Une fois que j’ai trouvé une place, je descends en dépliant mon 1m75. J’ouvre la porte passager, attrape Pépé et l’accompagne hors de la voiture. Après tous ces kilomètres, il est grand temps de se dégourdir les jambes. Pépé ressemble à un poids mort, bien plus lourd qu’il n’y paraît, et notre progression dans le bourg est lente.

Grâce aux albums photos que j’ai déjà épluchés à maintes reprises, je reconnais l’école où Pépé a passé son enfance. La cour de récréation est quasi identique. En face, le bar du village, où il remplissait ses poches de bonbons et avalait des litres de sirop, n’a pas bougé. À chaque visage que je croise, je me demande si Pépé les a côtoyés plus jeunes. La vieillesse nous change tellement, alors comment des gamins de l’époque qui ne se sont jamais revus pourraient-ils se reconnaître à cet âge maintenant si avancé ? Impossible. Au croisement, j’aperçois la boulangerie de mes arrière-grands-parents. Elle a malheureusement fermé depuis, c’est à présent un appartement. Les acquéreurs ont laissé l’ancien nom de la boulangerie sur la devanture comme un souvenir du temps passé. Le pire n’est pas toujours la disparition des lieux, mais l’effacement des témoins de leur existence. Grâce à cela, notre famille existe toujours un peu en ces lieux. Ding ! La cloche de l’église éclate dans l’air et me fait sursauter : seize heures. Cette immense bâtisse, chargée d’histoire, a résonné des mariages, des cérémonies religieuses et des chants de Noël de mes ancêtres.

Nous sommes presque au bout du village maintenant, je cherche dans mon sac la photo de la maison familiale de l’époque en prenant soin de ne pas lâcher Pépé. Ce ne serait pas le moment de tomber. J’ai confiance en sa mémoire, mais l’environnement a changé et je ne voudrais pas me tromper de maison. Je prends le temps d’identifier la vieille photo jaunie. OK, c’est celle-ci. Même si le nombre d’habitations a sacrément gonflé, la maison est reconnaissable. Elle a subi quelques améliorations, heureusement, au cours des années, mais elle est toujours tournée face à un immense marronnier. C’est là que nous allons. C’est au pied de cet arbre que Pépé garde ses plus beaux souvenirs. C’était le point de ralliement avec les copains de l’école, mais aussi la cachette de ses balades nocturnes, sans oublier son premier bisou avec la voisine, Nathalie. Il a été là pour veiller sur lui tout au long de ses interminables heures de révision. Pépé a su très tôt qu’il voulait devenir médecin et sauver le monde. Il a travaillé dur pour sortir de la classe sociale où il avait grandi. Il visait plus haut, plus grand, plus loin. C’est drôle, après tant d’années à parcourir le globe dans sa blouse blanche et à aider les populations aux quatre coins de la planète, de vouloir terminer ses jours ici. Sous ce marronnier aux allures bien défraîchies étant donné son grand âge mais toujours debout, lui.

Je lâche Pépé délicatement. Mon téléphone vibre dans mon sac. Le nom qui s’affiche sur l’écran ne m’étonne guère ; Papa. Je lis le message : J’aurais dû être là… Souhaite-lui un bon voyage.

Une larme roule sur ma joue, je soulève la jolie boîte que j’ai choisie pour transporter Pépé, ou du moins ce qu’il en reste. Et là, sous cet arbre centenaire qui l’a vu naître, un petit vent frais souffle. J’ouvre l’urne et Pépé s’envole. C’est comme s’il était là. Une boule dans la gorge, je murmure :

— Bon voyage Pépé !

Marine Biausque – lauréate 2024-2025 du concours de nouvelles de PLUME EN VOIX sur le thème « Illusion »